« Quand est ce qu’on va partir d’ici ? » Je plis le papier. Parce que le papier pas plié, c’est le genre de truc qu’on pourrait lire. Et je veux pas que les autres lisent. Seulement lui, même si finalement, là dans le motel, y a que lui. Assit sur le rebord du lit, un cigarette qui se consume entre ses lèvres. Juste lui, moi et puis les rideaux tirés. Parce qu’il faudrait pas qu’on nous voit. Non. Alors je m’approche de lui, et puis je me laisse tomber sur le lit a ses côtés avant de déposer le papier sur ses genoux. Parce que j’ai besoin de savoir. Je sais pas si je dois me faire a l’idée de vivre ici en fugitive, planquée et en cavale. Ca ressemble aux bouquins que je lisais quand j’étais plus jeune. Au tout début, avant que tout commence. Y avait des histoires de bandits, de femmes fatales. Et si il joue a merveille le rôle du bandit, moi la femme fatale, j’y crois pas trop. Pas assez femme, par contre fatale, ouais, peut être parfois. Quand je posais sur mon épaule les sacs qu’il fallait faire passer, je me sentais fatale, le genre de personne qu’aurait pu détruire votre vie juste avec un sac. Ouais, avant. Là, assise sur ce lit, j’ai l’impression que les sacs, c’est moi qu’ils ont détruits. « Plus tard » Ah ah. Tu sais, parfois je me dis que tu dois te foutre de moi. Je m’en doutais bien, qu’un jour on partirait. Ouais, je le savais. J’aurais juste voulu que tu me dises que tout allais bien, qu’en vérité, toi et moi on était pas trop jeunes pour gâcher nos vies. Pas trop jeunes non plus pour prendre la route. Parce que ouais, faire le tour du monde, je l’imaginais, mais pas comme ça. Alors je pousse un soupir, et puis, je me laisse tomber a la renverse sur les draps défaits. J’aime pas cet endroit. J’aime pas leurs rideaux, j’aime pas l’odeur de cadavre dans la salle de bain, ni la tâche blanche sur le tapis. Alors il se tourne vers moi et il sourit alors que ses doigts ils soulèvent mon tee-shirt. T’es con. « Tu vas faire à bouffer et après on baise ? » Pauv’ con ! Alors je me redresse, index dressé. Tu te fous de moi hein ? Je suis sûre que t’as pas vraiment envie de mourir de faim.

Mon poing, il s’agite sur la table, cherchant a faire de plus en plus de bruit, parce que nan, il m’entend pas. Il m’entend pas, il m’écoute pas. Je voudrais crier, hurler même. Ouais, je voudrais même juste pouvoir lui parler, pour murmurer son nom. Parce que souvent, ouais, j’en ai eu envie. De m’asseoir près de lui, de glisser ma tête a l’abris de son épaule, et puis, lui dire que ouais, j’étais bien avec lui. Sauf que mon poing, il dit que dalle. Encore plus muet que moi a ce moment là. Un incapable. Parce que s’il était en mesure de m’aider, il lui expliquerait, que je suis désolée, que moi aussi, en le suivant ici, je pensais pas ça. Je pensais refaire ma vie là où elle avait commencé. Je pensais que moi, après des années de cavales, le gamin dans mon ventre, c’était la fin. Le point le final. La touche de mon clavier qu’efface le texte pour tout recommencer. Alors oui, je voudrais lui dire, que je savais pas, et que si j’avais su, j’aurais pas jouer de la même manière. Sauf qu’il écoute pas, il me regarde même pas. Il se contente de glisser dans son sac les fringues qui le matin même partageaient les étagères de l’armoire avec les miens de vêtements. Bordel. Alors je m’approche, je pose ma main sur la sienne, peut-être parce que j’aimerais qu’il s’arrête, juste un instant. Et il le fait. Ce type, il a quelque chose de pas comme les autres. Peut être son regard. Ou bien autre chose. Alors je sais pas, c’est comme si mon cœur, il arrêtait tout, ou qu’on contraire, il déclenchait la guerre. C’est bizarre. D’habitude, c’est pas comme ça. Quand ça fait mal, je prends la fuite. Parce que ça fait moins mal. Pour mon connard de père, ouais, je suis partie parce qu’au fond, j’en voulais un un père, mais que celui là, nan, c’était pas le bon. Après, y a eu les foyers, les types aux mains baladeuses qui gérait mon argent, et puis y a eu X. Sauf que X, ouais, pour lui aussi je suis partie. Ou alors c’est lui qu’a pas suivi. Je sais pas, je sais plus. Pourtant, quand Y il arrête son va et vient, quand il pose enfin son regard sur moi, j’ai l’impression que mon monde s’effondre. Sauf que je veux pas partir. Ou plutôt je veux pas que lui il s’en aille. Pique pas mon rôle, celle qui part en laissant tout derrière elle, c’est moi. Pas toi Y, pas toi. Alors sa main, elle glisse dans mes cheveux, et son regard il m’échappe a nouveau. Sa main qu’attrape la poignée de sa valise, et au fond, je le sais que j’ai perdu. « Tu sais Irène, tu vas me manquer… » Alors pars pas. Me laisse pas.

« Tas couché la petite ? » Assise contre le mur du couloir, un des livres de coloriage de Lula entre les mains, un feutre dans l’autre, je lève mon regard pour mieux le poser sur lui. Ouais, lui. Alors d’un geste de la tête, j’acquiesce. Parce que ouais, la petite, elle dort, là, juste derrière la porte. Alors X, il me tend la main que finis par saisir, parce que ouais, je vais pas rester là. Mes doigts, sa peau. J’aime bien ce contact. Pas comme une femme aime le contact d’un homme, nan. Plutôt comme on aime ce sentiment de protection, comme si rien ne pouvait nous arriver. Alors le livre de coloriages, il tombe sur le sol, et moi je me redresse, mon regard s’appliquant a ne pas croiser le sien. « C’est cool, t’sais pas cuisiner, t’es naze pour l’ménage, mais au moins tu colorie sans dépasser. » Je souris. Je souris parce que j’y crois hein, que ce que tu dis tu le pense pas. Parce que tu sais X, t’es peut être la seule chose qu’il me reste. Toi, le père de ma gamine, le meilleur ami, le témoin de la moitié de ma vie. T’es un peu le type qui sauve l’épave, ou au contraire, l’iceberg qui fait qu’elle s’effondre. Je sais pas. Parce qu’au final, tout est de sa faute a lui, a ce type un peu étrange qui partage ma vie. Je sais pas si je le connais ou si au contraire, je me plante complétement sur lui. Je sais pas. Je sais juste que la toute première fois, quand on a quitté l’Irlande, c’était son idée. Ouvrir le sac, prendre l’argent, et puis s’enfuir. C’était son idée, et peut être aussi ce qui nous a évités de finir notre vie en prison. Pourtant, encore aujourd’hui, quand je les entends les sirènes, je nous revois dans les ruelles étroites, a s’appliquer pour ne pas être découverts. Moi j’aimais bien. Et puis, après, y a eu Lula. Ou X. Peut être X au début, parce que sans Y, ses fringues elles seraient peut être toujours là, en bordel sur le sol ou alors sur les deux premières étagères de notre chambre. Parce que X il y croyais presque autant que moi, que Lula ça serait sa môme. Sauf que non. C’est un peu comme un bug informatique. Une erreur dans le système tu vois. On a qu’a faire une mise a jour sans échec. Sauf que les échecs, c’est ce que je gère le mieux. Alors Lula, génétiquement, c’est pas la môme née d’un amour passionnel. C’est la môme née d’une course poursuite contre plus personne. De nuit d’angoisses. Tout ça. Alors a X, je lui souris, et puis, sa main, je la garde dans la mienne. Ouais, parce que X, c’est le père de ma fille, mais aussi le type qui partage le même appartement que moi. Ma vie, mon appart, ma gosse. Mais je l’aime pas. Pas comme on aime pour de vrai.