Un souffle fragile, deux ou trois battements de cœur, une cassure, et le vide sidéral. Les pleurs, puis la rancœur qui s'installe. On a des regrets, des remords, et on s'en mord les doigts. Le pas léger mais vif, tout était tassé dans le sac de son quotient émotionnel. On ne devrait pas avoir à dire au revoir à sa mère à l'âge de cinq ans. On ne devrait pas avoir à s'arracher une moitié de vie alors qu'on la cherchait encore. Toutes ces choses qu'elle rêvait de faire à deux, de partager avec sa mère. On ne parlait pas d'une simple peluche qu'on aurait perdue, et qu'on pourrait remplacer facilement. On devrait dire à toutes les petites filles qu'elles sont jolies. Elles devraient toutes avoir le bonheur de sentir la main de leurs mères leur caresser les cheveux, et leur glisser au creux de l'oreille qu'elle ne les quitterait jamais. Balivernes. On jette tout, on casse tout, et on crie dans un silence perçant. On refuse de l'aide, et on préfère se complaire dans la merde dans laquelle on est. Parce que c'est bien plus simple de se dire qu'on n'y arrivera pas, plutôt que de se bouger le cul. Papa, je ne veux pas de toi. Oui, la petite fille de cinq ans que j'étais à l'époque aurait bien aimé lancer cette phrase à la figure de son paternel. Celui qui trop borné dans ses histoires de religion, trop coincé dans ses principes à la con, avait laissé la femme de sa vie lui glisser entre les doigts. J'étais même certaine de l'avoir vue me sourire avant de partir. Elle me tenait fermement la main, elle me chuchotait que tout allait bien se passer, et que je devais continuer pour elle. Bordel que j'ai pleuré ce jour-là. Et j'ai appris à continuer, sans elle.

(...)

Arrive ensuite le temps du changement. Il faut bien avancer qu'ils nous disent, ces autres, à qui tout réussit. Alors on tente de se fondre dans la masse. On se déguise, on porte un masque, un sourire factice, un bonheur éphémère. Tout ça parce qu'on veut réussir, parce qu'on veut essayer de redresser la barre. J'ai vécu une enfant saccadée, hachurée, perdue entre mon ancienne et ma nouvelle vie qui me tendait les bras. Sérieusement, vous pensiez réellement que ce genre de choses s'oublient aussi facilement ? Elles sont encore plus marquées lorsqu'une autre femme entre dans votre vie. Combien de mensonges avais-je bien pu inventer pour ne plus l'avoir ? Des tartines entières, que mon père a parfois gobées, parfois non. Après tout, c'était qui cette bonne femme, qui non seulement entrait comme si tout lui appartenait, mais qui en plus, apportait son fils sous le bras ? Un petit brun, qui n'était pas seulement un garçon sûr de lui, mais également rebelle comme on en faisait plus d'après mon père. Il devait le dresser, le mettre sur le bon chemin qu'il ne cessait de répéter. Moi ? Oh, je dois vous avouer qu'au départ, ça ne m'a fait ni chaud, ni froid. Au contraire, Finnick et moi nous considérions plutôt comme des ennemis, comme deux fauves qui empiétaient sur le territoire de l'autre. Prêts à se bouffer à la moindre incartade. Mais il aura fallu d'une seule nuit pour tout changer. Une seule nuit, sur le toit de la maison. Je l'avais vu passer, plutôt secoué, comme il l'avait toujours été. Pour ma part, j'avais été punie par mon père, pour avoir raconté un autre mensonge, de plus en plus énorme au fil des jours. Un petit détour par la fenêtre de ma chambre, et je l'avais rejoint sur le toit. Assise à côté de lui, je m'étais d'abord tue, m'attendant à ce qu'il me réplique de dégager, comme il le faisait si bien, mais je crois que lui comme moi ne étions attendus à nous retrouver là, seuls. Une remarque sur le ciel étoilé, et la conversation était lancée. Les blagues fusèrent, avant que, pour la première fois depuis longtemps, ils prennent la peine de parler. De réellement s'écouter, et de partager un peu de leur douleur commune. On a moins mal à deux était leur crédo. Parce qu'ils étaient deux écorchés vifs ces deux-là. Deux délurés, deux essoufflés, qui ne manqueraient pas de finir cette course de la vie ensemble, quitte à y laisser leur peau. Et c'est ce soir-là qu'ils s'échangèrent leur premier baiser. Ouais ouais, je sais, le truc de frère, sœur et tout ça. Sachez qu'aucun lien sanguin ne les unissait, alors où était le problème ? Probablement les raisons de ce baiser. Si elles avaient été quelque peu impures, on s'en fichait, mais si elles devenaient malsaines, elles pouvaient faire mal. Ce qui ne tarda malheureusement pas à arriver.
Lors d'une énième dispute entre Finnick et mon père, ce grand jeune homme de vingt-quatre ans ne manqua pas de se faire réprimander par mon bougon de géniteur. Bien entendu que j'aurais pu lancer un autre mensonge bien ficelé à mon père, mais je ne m'en sentais pas capable. Pour se prendre une autre dispute à la figure, ou attendre la mère Davidovitch tout me reprocher, non merci. Tentant donc de me reposer tranquillement, le destin me demanda de descendre, pour chercher un verre d'eau à la base. Un simple verre d'eau, qui se termina par une séance de jambes en l'air avec Finnick. Oui, ça s'est fait sous une impulsion, mais ça a été différent cette fois. Ça n'a pas été que pour enrager nos parents, étonnamment. Quoi qu'il en soit, ni lui ni moi n'avons ébruité cette histoire, et nos vies ont continué ainsi, durant quelques temps.
Puisqu'ensuite, lors d'une petite réunion de famille par un jour ensoleillé, j'ai franchi une barrière que je m'étais interdite. J'ai osé l'embrasser, une nouvelle fois, en pensant que nos parents ne reviendraient que bien plus tard. Malheur. Ils sont rentrés bien plus tôt, et je n'oublierai jamais le regard de mon père, et cette gifle magistrale qu'il lui flanqua. On a bien tenté de calmer les esprits, en vain. Et c'est ainsi que j'ai regardé mon demi-frère s'en aller pour un pensionnat en Amérique. Tout en sachant qu'il m'avait laissé un souvenir le petit : j'étais enceinte.

(...)

Enfin, pas vraiment. Disons que ce souvenir est bien là, mais qu'il n'est pas de lui : et le pire, c'est que je suis enceinte de cinq mois à présent. Je ressemble à une vache, et j'ai même tenté de faire croire à l'une de mes amies que j'avais tout simplement pris du poids, mais ça ne prenait pas sur elle. En tout cas, pour mon père, je lui ai tout simplement dit que je devais m'en aller, dès que j'ai appris ma grossesse, et je n'ai même pas tenté de lui expliquer le pourquoi du comment. Il m'avait bien énervée toute ma jeunesse, je n'allais pas le laisser continuer. J'ai mené des recherches pour retrouver Finnick, pour tenter de lui faire croire que ce bébé était de lui. J'étais enceinte jusqu'aux dents, et le père était un coup d'un soir que je n'avais plus jamais revu, ma vie était devenue misérable avec les parents, alors je devais agir. Je savais que le temps était en ma faveur, et qu'il était tout à fait possible qu'il ait été le père de mon enfant. Alors j'ai pris mes bagages, et je suis arrivée ici. Je l'ai retrouvé Finnick, oui, et je lui ai même annoncé la nouvelle. Mentant comme je respire, j'ai facilement réussi à le berner, et qu'il croit qu'il va devoir s'occuper de son bébé dans quelques mois. Je sais, c'est mal, mais le mal est tellement jouissif, non ? Et si mon piège se referme sur moi ? Rien à battre, au moins j'en aurais profité.