Avez-vous déjà songé à la façon dont vous quitterez ce monde ? En ce qui me concerne, la réponse est oui. Je sais que mon temps est compté et l'ombre de la mort plane sur mon existence, tel le marteau prêt à s'abattre sur l'enclume : elle guide chacun de mes pas, hante mes rêves et influence la moindre de mes décisions. En effet, le destin a voulu que je naisse avec une malformation des reins, me faisant ainsi souffrir d'insuffisance rénale chronique. En d'autres termes, mon corps n'est qu'un instrument défectueux incapable d'éliminer les toxines de mon système. Ma vie dépend donc d'une machine chargée de faire ce travail à ma place au cours de séances nommées dialyses : quatre heures de pur bonheur allongée dans un lit d’hôpital, une aiguille plantée dans le bras, et ce à raison de trois fois par semaine. J'aimerais vous dire que l'on s'y fait mais ce n'est pas le cas. Au fil du temps, mon organisme faiblit de plus en plus et la fatigue - sans parler de la douleur ou encore de l'aspect déplorable de l'avant-bras recevant des piqures depuis près de vingt ans - ne cesse d'augmenter. Cerise sur le gâteau, ce type de maladie ne possède pas de réel traitement, la seule chose en mesure de me sauver étant une éventuelle greffe de rein. C'est pourquoi je me suis fait une raison et ai décidé de renoncer à une telle opération, quoi que puissent en dire mes proches. Je sais pertinemment que mon choix peut paraître quelque peu... étrange - voire sinistre - mais je refuse de vivre dans l'attente continuelle d'un coup de fil d'une infirmière. Je refuse d'entrer dans une clinique en sachant que lorsque j'en sortirai, mon corps abritera l'organe d'un autre être humain. Plus important encore, je refuse d'y entrer en me demandant si ma greffe tiendra deux heures, deux jours, deux ans ou bien deux décennies. Mon médecin traitant a bien essayé de me dissuader mais j'aime à penser que j'ai pris la bonne décision : au moins, ma souffrance sera de courte durée ! Au risque de passer pour folle furieuse, j'irai même jusqu'à dire que cette maladie est la plus belle chose qui me soit arrivée. Elle me permet de voir la vie sous un angle différent et si d'aucuns considèrent que cette dernière ne vaut la peine d'être vécue, je pense au contraire qu'elle constitue un merveilleux présent qu'il faut chérir à chaque instant. Vous savez, lorsque les années qu'il vous reste à vivre se comptent sur les doigts d'une main, le soleil brille constamment et les défauts de la race humaine vous passent complètement au-dessus de la tête. Le négatif disparait, seul le bon demeure. Le moindre sourire, la moindre caresse, la moindre main tendue dans votre direction... tout - absolument tout - emplie votre cœur de joie et prend une ampleur considérable. Les insultes, les reproches ou encore les mensonges ne vous font pas le moindre effet tandis qu'un mot gentil suffit à vous donner le sourire. Après tout, cette journée est peut-être ma dernière ! Voilà ce que je me dis chaque matin, voilà ce qui me donne la force de continuer. Si ce jour s'avère bel et bien être mon dernier, je veux que tout y soit parfait, que le bonheur règne autour de moi. Vous comprenez ? J'ignore combien de temps le destin a mis à ma disposition mais une chose est sûre : les regrets n'ont pas leur place dans le peu d'existence qu'il me reste à vivre. Bien que cela soit impossible, j'aimerais tout savoir, tout connaître du monde qui m'entoure avant d'avoir à le quitter. Je souhaiterais me faire le plus d'amis possible, étendre ma culture, visiter des dizaines de pays, apprendre toutes les langues de la planète - les vivantes aussi bien que les mortes -, tout écouter, tout lire, collectionner des tas de choses, avoir de l'expérience dans un multitude de domaines et pourquoi pas tomber amoureuse ! Ainsi, j'espère laisser une trace de mon passage - aussi bref soit-il. Ainsi, ma douleur n'aura pas été vaine : je n'aurai plus peur et je pourrai mourir heureuse. (underco.)