" Ma jolie petite Illona, ma petite fille chérie." Ma mère me serre dans ses bras, moi le petit être qui vient éclairer sa vie sinistre en cette belle journée de mars. Le soleil baigne la chambre d'hôpital comme il baigne notre jolie ville, La Pirée, de son éclat rayonnant. Une larme vient s'écraser sur ma joue, une larme de ma mère. Pleurant d'émotion ? De tristesse ? Peut-être les deux. Parce que même si je viens de débarquer dans sa vie, je lui rappelle aussi qu'elle est seule. Mon père, fils aîné d'une grande famille reconnue en Grèce, la famille Haros, croupit derrière les barreaux pour fraude fiscale. Dommage, j'aurais pu avoir une enfance digne de celle des petits enfants de riches, entre un père chef d'entreprise et une mère mannequin. J'aurais pu vivre dans une somptueuse maison, entourée de domestiques, d'amis envieux. Mais non. On a tout paumé à cause de ce père que je ne connais même pas. Et que je ne connaîtrais jamais car lorsqu'il sortira de prison, maman et moi nous serons déjà loin. Mais doucement, chaque chose en son temps.

" Illona, dépêche toi de faire tes devoirs. Je dois y aller et te déposer chez la nounou." Je lève les yeux de mon cahier d'école et jette un regard à ma mère. Grande, mince, habillée d'une robe courte noire, très moulante, ses cheveux bouclés, sombres, retombant sur ses épaules découvertes. Elle enfile une veste très chic, ses escarpins et soupire nerveusement. Je finis par fermer mon cahier, court dans ma chambre chercher mon doudou et enfile un manteau avant de la rejoindre dans le salon. " Je suis prête." Mon ton est doux, calme mais ferme à la fois. On dirait que la voix d'une jeune femme mais je n'ai que 8 ans. Seulement 8 ans. Et pourtant, j'ai l'impression d'en avoir le double. Il faut dire que la vie de maman, mannequin sur le déclin, n'est pas réellement adaptée à une petite fille de mon âge. Bien souvent, je la vois rentrer bourrée, avec un homme différent, voire une femme et je sais très bien ce qu'ils font lorsque ses cris me réveillent dans la nuit. Mais, je fais comme si ça ne m'atteignait pas, comme si j'étais fière de qui elle était alors qu'au fond, je la déteste. Elle est loin d'être la mère idéale dont je rêvais, ou aurait pu rêver. Pas comme la mère de ma meilleure amie, Cléo. Elle, c'est une vraie maman. Une de celle qui aime cuisiner de bons petits plats et nous emmener chercher des déguisements pour Halloween. Les talons claquants sur le parquet me ramènent à la réalité et ma mère me pousse hors de l'appartement pour aller vaquer à sa vie ...

" Illona, tu n'as rien oublié ?" Ma mère entre dans ma petite chambre, le sourire aux lèvres. J'ai 10 ans et je vais devoir quitter ma maison, ma ville, ma vie. Maman a trouvé un homme, un américain et ils vivent le grand amour. Du coup, il nous ramène avec lui dans son bled là-bas en Amérique. Moi qui bredouille à peine quelques mots en anglais, je sens que ça sera pas terrible. Maman elle ne parle que de ça. Pour elle, l'Amérique, c'est le paradis. Elle est sure que là-bas, elle pourra relancer sa carrière, devenir actrice. J'ai beau lui dire qu'on va dans le Vermont, et pas à Hollywood, rien n'y fait. Enfin, on verra bien hein ? Peut-être que je serais heureuse là-bas ? " Non, je pense que c'est bon. On peut y aller." Je ferme la porte de la chambre et descends en bas, rejoignant ma mère et mon futur beau-père qui se hâtent vers le taxi. Une nouvelle page à écrire ?

" Madame Haros-Campbell ?" Ma mère hoche la tête, parcourant la salle du regard, finissant par me trouver et me jette un regard froid, déçu. Je suis au poste de police où elle vient me récupérer pour vol à la tire dans un magasin de vêtements de la ville voisine. Pour la troisième fois. Je n'y peux rien, même si maintenant, on a les moyens, je continue de penser que demain, on pourra se retrouver sans rien. Puis, j'adore piquer des trucs, disons que c'est un moyen excitant de passer le temps. " Le magasin ne porte pas plainte pour cette fois. Mais, la prochaine fois, elle passera devant le juge. Elle va avoir 16 ans maintenant." Ma mère soupire doucement, et je me glisse derrière elle, sans un regard pour elle. " Oui Monsieur l'Agent. Je sais bien ..." On sort du poste de police toutes les deux et elle me lance un regard assassin. " Maman, je suis désolée, ça n'arrivera plus." Elle soupire et hausse les épaules. " C'est ce que tu m'as déjà dit la dernière fois. Qu'est ce que je peux faire pour que t'arrête tes conneries Illona ? " A mon tour de soupirer. Je détourne le regard, n'ajoutant rien. Il n'y a rien à ajouter de toute façon.

" Reste encore, Lona, pars pas tout de suite." Je me retourne vers le jeune homme et sourit avant de me lever, drapée de son drap. Une nuit de plus que je passe avec lui. Demian. L'homme de ma vie sans aucun doute. Ok, j'ai peut-être 16 ans, bientôt 17 mais je le sens, je le sais. Je l'ai su à la minute où j'ai posé mes yeux sur lui. Pourtant, je suis pas le genre de nana très romantique, qui croit au prince charmant et pleure devant Titanic - bon, ok j'avoue, j'ai déjà pleuré devant Titanic - mais avec lui, j'ai envie d'y croire. Notre histoire semble sortir tout droit d'un film. Un coup de foudre, un vrai, comme ceux des films, des livres, des chansons. Ceux dont tout le monde entend parler mais que personne ne connaît jamais. Moi, je l'ai connu. Et à cette même soirée, je lui offrais ma virginité, sans rien craindre du lendemain. Depuis, je passe régulièrement quelques nuits par semaine chez lui. " Non, je dois y aller. Ma mère va encore criser, tu sais bien ..." J'enfile ma robe noire, celle de la soirée d'hier, mes chaussures et dépose un baiser sur ses lèvres. " Un jour, on n'aura plus à se séparer du tout." Il rit et me fait basculer dans ses bras, m'enfermant contre lui, comme un doux piège. " Et ce jour viendra plus vite que tu ne le crois." Je me laisse fondre dans ses bras puissants, savourant ses baisers qui se font de plus en plus précis, et gémissant lorsque ses caresses se font plus intimes. Il me tue de plaisir à chaque fois.

" Mademoiselle Alix Illona Haros, voulez vous prendre comme époux, Monsieur Demian H. Shaw ?" Je plonge mon regard dans celui de mon fiancé, un doux sourire venant éclairer mon visage. Je savais que ça finirait par arriver. J'attends ce moment depuis l'instant où je l'ai vu. Deux ans qu'on est fous amoureux et enfin on va s'unir. Pour le meilleur et pour le pire. " Oui, je le veux." Je l'embrasse fougueusement sans même attendre le sempiternel "je vous déclare unis par les liens du mariage, vous pouvez embrasser la mariée". Blottie dans ses bras, je me sens bien. Comme si plus rien ne pouvait me blesser. J'ai 19 ans et la vie devant moi.

" C'est fini Demian? Fini, tu m'entends ? Je ne reviendrais plus alors arrête de me faire chier. Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même. Je soupire, le regard plongé dans celui qui est devenu il y a quelques semaines mon ex-mari. Cinq ans. Cinq ans de mariage, d'un amour sans faille, du moins je le pensais. Il aura fallu que je le surprenne avec une espèce de pouffiasse dans MON lit, NOTRE lit pour que je comprenne qu'il me trompait. J'ai pris mes clics et mes clacs et demandé le divorce dans la foulée. J'ai beau l'aimer comme une folle, il était hors de question que je devienne ce genre de femme cocufiée dans tous les sens qui restent par amour. Je ne voulais pas être ça. Je ne le laisse pas répondre et disparais rapidement, marchant d'un pas ferme, loin de lui, loin de notre vie d'avant. Je suis venue récupérer les dernières affaires qui restaient chez lui et une fois de plus, il a tenté de me récupérer. Pour être honnête, j'ai follement envie de replonger mais je me l'interdis ... Je dépose les affaires dans mon nouvel appart, un petit F2 sans prétention mais qui me convient tout à fait avant d'enfiler une autre tenue. J'ai le journal de ce soir à présenter et je dois me dépêcher. J'ai réussi, malgré mon rôle de femme mariée très jeune, à devenir journaliste et depuis peu présentatrice TV. Un rêve devenu réalité. Depuis mon divorce, je me suis consacrée à fond dans mon boulot histoire d'oublier un peu Demian. Ça aide. Parfois.

" Tiens, bonjour Demian." J'adresse un sourire presque forcé à mon ex mari et serre un peu plus fort la main de l'homme qui m'accompagne à cette soirée organisée par la ville. " Je te présente Samuel, mon ... compagnon." A voir le regard froid que lance Demian au beau jeune homme qui m'accompagne, je devine un soupçon de jalousie et me retiens de lui lancer un sourire victorieux. Je savais qu'il serait jaloux et c'est pour ça que j'ai demandé à mon nouveau copain de m'accompagner. Pour une fois, c'est à moi de me pavaner avec un beau gosse à la main. " Enchanté." Un ton froid, sec. Il ne s'attarde pas, part en direction du bar et je dépose un léger baiser sur les lèvres de Sam." Merci de m'avoir accompagné chéri."

La suite ? C'est à nous de l'écrire (a)