Ca craque. Doucement, gentiment. L’os se brise, se décompose, s'explose. La douleur que je devine me fait sourire, un rictus un peu fou, malade de la souffrance : je l'aspire, la possède, l'adore. Les coups pleuvent, les cotes se brisent, se tordent. Un gémissement résonne. Ô ciel que j'aime ça ! Le pourpre voile mon regard, ne me laissant rien voir d'autre qu'une rivière de sang. Il s'écoule lentement tachant la vie qui s'efface quelques peu sous la violence ambiante. Mes poings se crispent douloureusement, les cicatrices violacées qui les zèbrent ne sont que des marques supplémentaires de l'étendue de la colère qui vit en moi. « J’vais te mettre en morceau Vaughan ! Tu m'entends espèce de bâtard, on va pouvoir jouer aux osselets avec toi quand j'en aurai terminé ». Un rire secoue mon corps en lambeau, à moitié dans les vapes, à moitié ailleurs, je regarde son visage brouillé de haine qui me fixe avec fureur. J’m’en branle de ce qu’il pense, j’m’en balance de ce que tout le monde peut bien penser de moi. Je veux bien être tous ce qu’ils veulent, ils ne changeront jamais le chao qui prolifère de mon âme et que j’applique dans ma vie. D’une poigne de fer, il soulève mon corps frêle, ces doigts tatoués s’enroulent autour de mon coup. Il serre, l’air se stoppe. Il appuis, le monde tourne. Je souris, délicate sensation que de sentir mon corps partir à la dérive, je m’envole, m’élève. « Bordel de merde, Spider tu joues à quoi ?! » hurle une voix au loin avant que l’étau autour de ma gorge ne se détache. Un léger regret me saisit, la mort ne viendra sans doute pas à moi ce soir. Trop défoncé pour me débattre, pour me relever, je laisse mon corps m’échapper et s’écraser durement contre le bitume. Un brouhaha pollue mon espace, enraille ma raison, quelques paroles me parviennent : une dispute certainement entre les deux connards qui rôdent autour de mon cadavre, toujours vivant faut croire. « Ce branleur est le fils du sénateur de Géorgie ! ». Un grondement secoue ma corde vocale, reviens te battre fils de pute que j’meurs d’envie d’lui dire mais je reste étaler dans mon caniveau, pris au piège avec le délire de mon cerveau. J’ouvre les yeux et les plonges dans la voute étoilée, c’est beau, c’est con. Bordel, j’perds la tête, les souvenirs m’emplissent, me dévores. Je sens son haleine empestant l’alcool et mes neufs ans qui me collent à la peau, je sens ses mains qui se posent sur moi avec fureur, ces coups que je n’avais pas mérités. J’entends ces pleurs au loin, ces délires, sa folie. Un alcoolique violent, une névrotique perdue : j’étais foutu dès la naissance. Baisé dans mon putain de berceau. Un rictus aux lèvres, j’matte ces putains d’étoiles comme les abrutis de romantiques que j’ai pu observer, sauf que moi j’suis à terre. Brisé. Morceler. Mes muscles appellent à l’aide, mon liquide vital se déverse dans la ruelle … J’vais peut-être crever ce soir finalement, et je ne ressens rien. Mon psy’ parle d’un comportement sociopathe, j’emmerde mon psy’. Il clame à qui veut l’entendre que le déchainement d’agressivité qui coule dans mes veines peut être atténué par un séjour en maison de repos, foutu menteur ! Je rigole doucement en songeant à mon paternel, ce qu’il doit être fière le vieux lorsqu’il reçoit un jolie rapport sur son déchet de fiston. J’ai touché à tous, tous pour le dégouter, pour l’enrager, pour me venger. Les narcotiques sont venues à moi l’année de mes quinze ans, c’était si reposant : ne plus rien ressentir. Faire enfin taire cette douleur lancinante qui pleurait au fond de mon ventre. Apaiser le mal de mon esprit encore un peu rêveur. Les combats ne sont venu qu’après, j’avais dix-sept ans et la rage au cœur. J’étais déjà un anarchiste, l’aristocrate rebelle, le bourge bousillé. Un rail de coke, une baston. Le sang, la drogue, l’adrénaline … Le cocktail d’enfer. Jamais pris autant mon pied qu’en broyant le visage d’un autre mec. Je ferme les yeux, un instant, un court instant. J’ai rien ni personne, je ne suis rien ni personne, je n’aime rien ni personne … j’crois que j’suis mort tout compte fait. Un joli cadavre, une gueule d’ange, un corps de dieu, des tatouages pour masquer les cicatrices, internes, externes … J’écris sur ma peau pour éviter de me foutre en l’air. L’écho de talon résonne sur le souillé de cette ruelle sombre, je gigote un peu, gronde de souffrance. T’es en morceau, Teddy, l’oublie pas, songe je pour moi-même tandis que le bruit de pas s’approche encore plus. Une paire d’escarpin carmin, des bas de soie transparent, un parfum de fruit acidulé et me voilà sauver. Jordanne. Un cri d’effroi s’échappe de ces lèvres pulpeuses avant qu’elle ne se jette sur moi, ces mains glissant sur mes membres bleuis, ces yeux pleuvent sur moi. Ses larmes salés glissent sur mon corps et me chavirent, m’enterre. « Oh Teddy, je suis là. Je vais m’occuper de toi, je te le jure ! » Laisse-moi crever en paix, pensais-je en gémissant sourdement tandis que ces doigts chauds se posaient sur mes côtes en miettes.


& dans ce monde sauvage, où l'égoïsme et la haine se conjuguent à merveille, je me lève chaque jour. Me jurant, que cette journée sera meilleure que la précédente et chaque soir, je réalise que je ne suis qu'un menteur. Modifiant à la vérité, la mienne et celle des autres. Bousilleur d'existence, la mienne et celle des autres aussi ...